Mon premier contact avec l’oeuvre
de Kazantzaki a eu lieu lors de ma lecture de Alexis Zorba, son livre
le plus célèbre, ce magnifique roman, mi-pittoresque mi- tragique, dans
lequel il a créé un des personnages les plus fascinants de la littérature
du XXème siècle. Puis, j’ai fait connaissance avec ce poème philosophique
en prose Ascèse, (Salvatores
Dei ) que je considère comme la colonne vertébrale de toute son
oeuvre. L’une des caractéristiques qui m’a toujours frappé dans ses
livres, c’est le mélange d’un sens matériel, charnel, physique, presque
naturaliste, presque « animalesque », de la réalité et des
hommes, et d’un grand mysticisme, à sa manière. Après la lecture de cette
magnifique épopée qu’est son Odyssée,
j’ai lu ses autres romans, parmi lesquels on trouve de véritables
chefs-d’oeuvre, comme La liberté ou
la mort, Le Christ recrucifié,
La dernière tentation, Les
frères ennemis, etc. Le monde de Kazantzaki est presque toujours
un monde primitif, violent, très semblable à la réalité rurale du Brésil.
En tant que grand cinéphile, j’ai ressenti de curieuses similitudes entre
ses livres et l’oeuvre de deux grands réalisateurs des années 1960,
l’italien Pasolini et le brésilien Glauber Rocha. Ces trois hommes, bien
qu’ils ne soient religieux au sens social du mot, sont fascinés par le
mysticisme et par le personnage du Christ. La réalité prolétaire et rurale
de l’Italie, chez Pasolini, ou du Nord-Est brésilien, chez Rocha, sont des
réalités aussi primitives et violentes que celles de la Crète ou de la Grèce
décrites par Kazantzaki. La dernière
tentation est l’une des oeuvres littéraires les plus puissantes
jamais écrites sur le Christ, comme L’Évangile
selon Mathieu l’est pour le cinéma. Avec son oeuvre immense, son
sens merveilleux du paysage, sa richesse de types inépuisable, sa quête désespérée
d’un absolu, Kazantzaki est toujours l’un des plus grands écrivains et
des plus grands esprits de son siècle. Parmi les victimes des ignobles
erreurs commises par le Prix Nobel de Littérature (à commencer par Tolstoï),
l’œuvre de Kazantzaki est une de celles qui a souffert de la plus grande
des injustices.
Alexei
Bueno