Madame Yvette Renoux, Unesco, Avenue Kléber 19, Paris

Villa "Manolita", Parc Saramartel, Antibes, 10, III, 49

Mon Yvette,
Il y a une éternité que je ne vous ai pas écrit, quoique je pensais à vous et me sentais coupable. Le déménagement, un courrier monstre, la machine à écrire, et... ma mauvaise santé, en voilà des excuses qui me feront peut-être pardonner.
Je vous remercie donc, même avec un si grand retard, de votre intérêt pour Kazantzaki et pour moi ; et j'espère qu'un jour on se reverra dans ce Paris qui est la quintessence de toute notre beauté occidentale. Il ne nous reste, paraît-il, qu'à connaître Pékin, pour ne plus vouloir bouge de l'un ou de l'autre.
Aujourd'hui il fait un froid infernal, car nous n'avons pas pu allumer la cheminée à cause du vent. Quelle différence avec la semaine passée quand tout le monde se baignait à Juan et le soleil vous brûlait comme en plein été... Il pleut depuis trois jours sans arrêt - ce qui donne le cafard. Mais pour les arbres fruitiers c'est bien, et c'est notre seule consolation.
Demain nous pensons aller à Cannes entendre une conférence sur la Chine donnée par Samy Simon, de la radio Paris qui est un gd ami de nous et que nous avons eu ici pour une nuit. J'aurais tellement voulu à cette occasion rendre une petite visite à votre belle-soeur. Malheureusement je ne connais ni son nom ni son adresse. Voulez-vous bien me la donner, ma chère ? J'ai une idée en tête et je crois que cela pourrait l'intéresser.
Savez-vous (naturellement pas) que j'ai donné une conférence sur Gandhi, devant un public nombreux (300 personnes aprox) et que j'ai eu un grand succès (1) ? Je trouvais les mots et les accents propices et j'ai tenu l'attention de mon auditoire jusqu'à la fin... C'était merveilleux comme sensation et j'aurais beaucoup aimé la refaire dans les autres villes de la Côte et même de l'intérieur de France. Mais comment ?
Dites à Robert que nous aussi nous pensons souvent à lui, tout naturellement d'ailleurs, puisqu'il nous est impossible de vous en séparer dans notre coeur.
Je vous embrasse bien fort et vous prie d'excuser cette écriture qui est aussi mauvaise à cause du froid.
Baisers et amitiés tendres de votre

Eleni Kazantzaki

Salut, très chère Yvette ! Tout va bien ? Je pense souvent à vous, à l'Unesco, à cette année fabuleuse aux filets remplis de cigarettes, de Nescafé et de savon ! (2)
J'espère vous revoir cet été dans notre nouvelle maison seigneuriale !
Saluez, please, tous les amis à l'Unesco, Monsour y compris. (3)
Mes affectueux souvenirs à robert et à vous, très chère Yvette.

Kazan

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Notes

(1) Eleni SAMIOS, La sainte vie du Mahatma Gandhi, publié une première fois avant la deuxième guerre mondiale puis republié par Albin Michel dans la collection "Spiritualités vivantes".

(2) Après la guerre, les organisations internationales disposaient d'un magasin où leurs personnels pouvaient trouver des produits hors-taxe et difficiles à se procurer.

(3) Anciens collègues de l'UNESCO.