VOYAGE EN ESPAGNE

1 Pour le Greco, la quintessence du corps n’est pas l’effet de la lumière sur la chair, mais l’âme, la perle invisible qu’il faut révéler…Tous ces hommes peints conservent le corps qu’ils avaient de leur vivant, les mêmes signes particuliers, les mêmes vêtements… Ce sont les mêmes personnes ressuscitées. Sauf que ces corps ramenés à la vie sont dépouillés de toute douceur, de tout naturel, de toute chaleur physique. Ils sont passés par l’enfer, le purgatoire ou le paradis. C’est ainsi que surgissent tous les hommes et les anges du Gréco, après avoir traversé les trois niveaux de son esprit.
2 Les Espagnols ne croient en rien. Ce sont des desperados. Aucune autre langue au monde ne possède ce mot-là. Desperados signifie : homme qui sait fort bien qu’il n’a rien à quoi se raccrocher, qu’il ne croit rien, et qui, ne croyant en rien, est dominé par la rage.
3 (À propos d’Unamuno). Derrière toute philosophie, il recherche le philosophe qui l’a exprimée, derrière les pages d’un livre, il essaye de trouver l’auteur et lui seul. Les papiers sont bons pour les chèvres.
4 Allons voir le Greco. Mais je n’étais pas pressé. Je connaissais trop bien l’infinie douceur de la halte à l’approche des délices, de la main qui se retient avant de se tendre.
5 Thérèse est grande des pieds à la tête. Mais à partir de la tête et au-dessus, elle est incomparablement plus grande. C’est cette dimension invisible que le Gréco s’est efforcé de peindre pendant toute sa vie.
6 L’artiste est l’avant-garde de Dieu, le poste de guet le plus avancé de son armée. Il lutte sans cesse pour donner un aspect nouveau au futur. Le passé ne le satisfait plis car le cœur du créateur n’est jamais satisfait car son cœur et Dieu ne font qu’un. Et par Dieu, j’entends la force qui nous donne toujours plus que nous ne pouvons recevoir et qui nous demande toujours plus que nous ne pouvons donner.
7 Les deux plus grandes joies de ma vie ont été le voyage et la confession – et la création est sans doute la forme la plus fidèle de la confession.
8 L’Espagnol, dit un proverbe castillan, quand il ne galope pas comme un cheval, reste immobile comme un mulet.