LE DISSIDENT
Le Dissident est une biographie de Nikos Kazantzaki réalisée par Eleni, sa femme, à partir de sa correspondance. |
1 |
Vous
rappelez-vous ce que je vous disais de nos frères les Africains ?
Quand l’homme meurt, les yeux s’enfoncent dans la terre et clament :
Nous n’avons rien vu ! les oreilles : nous n’avons rien
entendu ! Les lèvres : nous n’avons jamais embrassé !
Les mains : nous n’avons jamais rien touché ! Mon Dieu à
cette heure où je vous écris, tous mes sens désespérés poussent ce
cri africain. |
2 | Toutes les paroles sont vaines devant ce terrible mystère : une figure bien-aimée vient, vit, parle, grandit avec nous et soudain tranquillement, elle disparaît sans se retourner… Nous savons qu’il n’y a pas de réponse, mais il y a des mains qui se serrent chaleureusement. |
3 |
La
valeur des choses est celle que nous sommes dignes de leur prêter. Plus
je trouve de valeur à la vie, plus j’ai moi-même de valeur. Et je tâche
toujours d’utiliser mon enthousiasme comme un instrument pour me
perfectionner. |
4 | Toute mon œuvre a comme devise et comme but : comment l’homme devient éternel. C’est là où j’ai abouti. |
5 | Qu’est-ce que cette terre ? Où va-t-elle ? d’où vient-elle ? Pourquoi ? Dieu soit loué, il n’y a pas de réponse. Nous créons notre réponse chaque jour, avec notre rire, nos larmes et notre sang. |
6 |
Rahel
m’a envoyé une belle édition en allemand du Gandhi de Romain Rolland :
Voilà un homme, écrit-elle, pas comme toi qui aimes encore les mots.
Cette petite juive a raison mais elle ne sait pas
que ce n’est pas bien de hâter l’évolution de l’âme. Je mûris
toujours très difficilement et très lentement. Ainsi, je me suis libéré
dans le temps de la science qui m’avait possédé, puis de la
philosophie ; de même je vis me libérer de l’art et c’est
seulement en l’aimant mortellement en travaillant pour lui avec passion
en me donnant tout entier à lui que j’y parviendrai. C’est, je crois,
la méthode de Dieu ; c’est ainsi qu’il s’est libéré des
plantes, des bêtes, qu’il lutte aujourd’hui pour se libérer de
l’homme. J’ai toujours essayé d’unir les deux ennemis qui se complètent :
passion et clarté. Que la raison ne tempère pas la véhémence du cœur
et que le cœur ne trouble pas la clarté de l’esprit (1925) |
7 |
Il
y a quelqu’un, chère amie, qui dirige notre destinée – c’est
nous-mêmes. Tout ce que j’ai désiré dans cette vie, âpre et féroce,
je l’ai obtenu parce que je l’ai désiré âprement et férocement. La
réalité, je l’éprouve tous les jours, est quelque chose de très
fluide, sans visage, sans volonté, un fluide aveugle, stupide et
suppliant ; elle implore notre volonté, à nous de lui donner visage
et caractère.(1925) |
8 | Qu’elle est brève, mon Dieu, cette vie ! Faisons tout ce que nous pouvons pour sauvegarder notre divin contact. |
9 |
A
quelqu’un qui lui demandait « une bonne recette de vie »
pour trouver le bonheur : avoir la conscience pure, aimer avec
passion quelque chose dans la vie, n’importe quoi et ne jamais blesser
le cœur d’un être humain. |
10 | Cher Panaït, pour moi, « réussir » signifie : faire une grande œuvre. |
11 | Le créateur (le penseur) doit trouver les mots simples qui vont une fois de plus révéler aux hommes cette vérité simple : les humains sont tous frères. |