Mercredi
9 octobre 2007 – Mairie du 6e arrondissement – Paris
Inauguration de l’exposition consacrée à Kazantzaki
Discours inaugural de Gérard Labonne,
Président de l’association Crète, terre de rencontres.
Excellence,
Monsieur le Consul Général,
Monsieur l’adjoint au Maire du 6ème arrondissement,
Monsieur le Président,
Mesdames, messieurs en vos titres et qualités,
Mesdames, messieurs,
Nikos Kazantzaki est un écrivain, un romancier crétois
qui a dérangé et qui, peut être encore aujourd’hui surprend. Puiser son
inspiration, sa spiritualité au contact du Christ, de Lénine et de Bouddha déroute
plus d’un esprit cartésien. Mais résumer ainsi la démarche et la vie de
Nikos Kazantzaki c’est oublier l’essentiel : Nikos Kazantzaki était Crétois
– foncièrement crétois comme il se plaisait à le dire.
Tous les visiteurs de la Crète qui sont sortis des
sentiers balisés pour le tourisme de masse vous le diront : la terre de
Crète montre l’âme du Crétois. Il l’a façonné à son image comme
le potier travaille la glaise et lui donne les formes de son époque.
N’est-ce pas le Crétois qui le premier a rencontré
les dieux, les a caché et vénéré dans les
endroits les plus reculés de son île ? Visitez les grottes innombrables
de l’île et vous y trouverez des
autels, des lieux d’initiations, des adorants et ex-voto. N’est-ce
pas le Crétois qui a dompté, dès l’antiquité, la grande bleue au point
d’en faire l’outil d’une civilisation rayonnante que les archéologues
ne finissent de découvrir? N’est-ce pas lui encore qui, durant des siècles,
a combattu et vaincu l’occupant, qu’ils soient Vénitiens, Arabes, Ottomans
et Allemands, en rassemblant toutes les énergies et les ressources de son île ?
N’est-ce pas le Crétois encore qui montre au monde les secrets de ses
pratiques alimentaires ancestrales qui répondent aux préoccupations
d’aujourd’hui? N’est-ce pas le Crétois qui met un point d’honneur a
accueillir l’étranger, sous son toit, avec respect et chaleur, qui est fidèle
en amitié et intraitable face à la trahison. Ce que le Crétois appelle
aujourd’hui « το
φιλότημο »,
intraduisible en un mot en français.
Oui, le Crétois est fier, attaché à sa terre et
viscéralement combattant pour la liberté.
Nikos Kazantzaki disait : « c’est un don
du ciel d’être Crétois » et les personnages de ses romans portent haut
et fort le drapeau et les valeurs de la Crète. Regardez Capétan Mihalis, Zorba,
Manolios dans le Christ recrucifié. Ils sont Crétois par leur luttes, leur
sacrifice, leur amour de la terre.
Et c’est à partir de cette terre que Kazantzaki a
construit son œuvre et qu’il s’est construit lui même en s’ouvrant au
monde. Ce qu’il appelait « Le Regard crétois ».
Kazantzaki combattant engagé et humaniste a su
dépasser les frontières de l’espace et ses propres frontières, il se
libère de la matière et gravit inlassablement le chemin du devoir.
De son père, il a hérité une tendance à la rébellion
et de sa mère un penchant à la religiosité. Né au cœur de la Turcocratie,
au milieu d’affrontements entre Chrétiens et musulmans, son sentiment
religieux s’est exacerbé confinant parfois même au paroxysme. Dans son
« Rapport au Gréco », il résume le conflit intérieur de sa
jeunesse : « Durant ces années, dans la Grande Citadelle (Héraklion),
chaque âme avait des racines profondes dans la terre, des racines profondes
dans le ciel. Mon premier désir ardent fut la liberté. Le deuxième, qui
encore subsiste en moi et me torture, la soif de Sainteté ».
Kazantzaki n’était pas seulement un grand écrivain
grec, pas seulement un grand humaniste, il était aussi un héraut inlassable de
la paix, du progrès et du bonheur des hommes.
La dimension politique de Kazantzaki mûrît dès
l’école. Lors de vacances scolaires, il fonde à Héraklion avec deux
camarades de lycée une nouvelle « φιλική
αιτερία »
(Société des Amis) . Comme il l’écrit dans « le rapport au Gréco »
« nous nous sommes donné pour but de combattre sans compromis toute
notre vie le mensonge, l’esclavage, l’injustice… ». Ce premier
levain politique l’entraîna plus tard au coté de Vénizelos.
Ainsi Nikos Kazantzaki est cet homme multiple et
toujours sincère, voyageur en quête permanente de dépassement.
Cette longue traversée est présente dans son œuvre
magistrale « l’Odyssée » - 14 années ont été nécessaires pour
sa rédaction, sa maturation, son éclosion. L’itinéraire de Kazantzaki, ses
angoisses, ses réflexions et sa pensée philosophique en composent
le cœur ; tous les personnages importants qui ont influencé
l’auteur sont présents et sauvegardés.
Ce n’est pas un hasard si l’hommage rendu à
l’occasion du cinquantenaire de la mort de Kazantzaki par deux artistes au
savoir-faire différents, l’un est sculpteur, l’autre est
graveur, se rencontrent autour des œuvres majeurs de Kazantzaki. La
force des éléments, le feu, le vent, l’énergie constituent des thèmes allégoriques
présents régulièrement dans l’œuvre de l’auteur comme jaillissements,
envols, paradigmes de l’homme qui « les pieds dans la boue, cherche désespérément
à faire sauter sa chair et son esprit , à triompher de la nécessité. »
Après différentes manifestations organisées par
l’association « Crète : terre de rencontres » autour de la
vie et des œuvres de Nikos Kazantzaki que se soient des conférences, pièce de
théâtre où visites en Crète, l’hommage rendu aujourd’hui est
l’aboutissement d’une année consacrée à cet immense auteur.[1]
La création, le génie artistique sont
l’expression visible du cheminement de l’esprit. La découverte des oeuvres
présentées aujourd’hui sera un moment intense de dialogue avec l’artiste
guidé par la passion d’un génie
crétois.
Que ces artistes en soient remerciés.
Merci de votre attention.